Parce que c'est un sujet trop peu abordé et pourtant essentiel, je vous propose de faire un point sur les risques représentés par certaines espèces présentes dans le hobby aquariophile : les espèces invasives (ou plus exactement, les espèces exotiques envahissantes). Leur liste sera mise à jour dans le deuxième message. Mais avant d’y arriver, reprenons les bases !
Quelques définitions :
Les définitions suivantes proviennent du Centre de Ressources des Espèces Exotiques Envahissantes. (1)
Une espèce indigène est une espèce qui est naturellement présente à l’intérieur d’un territoire. Ce territoire correspond à son milieu naturel « type » mais aussi aux zones qu’elle peut atteindre et occuper en utilisant ses propres moyens de déplacement (donc sans aide humaine directe ou indirecte).
A l’inverse, une espèce exotique est une espèce introduite par l’homme à l’extérieur de sa région naturelle. Cette introduction a lieu quand des animaux/plantes/autres sont relâchés (volontairement ou pas) dans un nouveau milieu. Elle peut aussi se produire si des œufs, des boutures - ou tout morceau de truc à partir duquel l’espèce pourrait se développer - se retrouvent dans la nature.
Une espèce naturalisée est une espèce exotique dont les populations se reproduisent et se perpétuent de manière autonome. C’est donc une espèce qui se retrouve dans un milieu qui n’est pas son milieu naturel, mais dont les conditions lui conviennent suffisamment pour qu’elle soit capable 1) d’y survivre et 2) de se reproduire de façon assez durable pour perdurer dans ce nouvel écosystème.
Et les espèces invasives dans tout ça ?
Une espèce exotique envahissante (EEE) ou espèce invasive est une espèce introduite par l'homme en dehors de son aire de répartition ou de dispersion naturelle, qui s'établit sans intervention humaine, et qui étend son aire de distribution (INPN). La Convention sur la diversité biologique définit une espèce exotique envahissante comme une espèce dont « l'introduction et/ou la propagation menace la diversité biologique ».
Pour résumer : une EEE est une espèce naturalisée, qui se reproduit et se disperse suffisamment pour se répandre au-delà du point où elle a été introduite à l’origine, et dont la présence pose un risque pour les espèces natives et l’équilibre biologique du milieu.
En quoi c’est si important ?
Les EEE représentent le quatrième facteur de disparition de biodiversité dans le monde après la disparition des milieux et des habitats, la surexploitation des ressources et les pollutions. Le changement climatique n’arrive qu’en cinquième position. Les EEE peuvent aussi avoir des conséquences importantes sur les activités humaines : disparition des espèces endémiques, problèmes sanitaires (allergies, piqures…),perte des bénéfices écosystémiques, dégâts aux cultures…
Il faut bien noter que toute espèce introduite ne devient pas forcément une espèce invasive ou envahissante. On estime qu’il existe environ 12 000 espèces exotiques en Europe, dont 1500 invasives (Mora et al., 2011). Ça fait quand même un certain nombre ! 8 nouvelles espèces invasives seraient introduites tous les ans sur le territoire européen.
Une étude publiée en 2015 par le Commissariat Général au Développement Durable évalue leur impact économique entre 10 milliards et 12 milliards d’euros par an pour les pays européens.
Les EEE dans la loi
Les espèces invasives sont concernées par plusieurs textes de loi. Certaines, celles qui ont le plus d'impact sur la biodiversité et la santé, sont strictement réglementées. Elles sont listées dans des arrêtés spécifiques comme l'Arrêté du 14 juillet 2018 (espèces animales), l'Arrêté du 2 mai 2007 (Ludwigia grandiflora et peploides), etc. Au total, ces arrêtés concernent une trentaine d'espèces parmi les plus virulentes. Vous connaissez probablement certains noms : tortue de Floride, perche soleil, écrevisse de Louisiane...
L’article L.411-5 du Code de l’Environnement interdit formellement l'introduction dans le milieu naturel des espèces animales et végétales fixées par arrêté. L'article L. 411-6 interdit l'introduction sur le territoire national, la détention, le transport, le colportage, l'utilisation, l'échange, la vente ou l'achat de tout spécimen vivant de ces espèces. Le non-respect de ces articles est puni de 2 ans de prison et de 150 000 euros d’amende par l’article L. 415-3.
On compte aussi des dispositions relatives aux EEE dans le Code rural, le Code de la santé publique, ainsi que plusieurs autres lois et arrêtés.
En quoi ça concerne l’aquariophilie ?
On ne le répète pas assez : ne relâchez jamais, JAMAIS vos animaux dans le milieu naturel (Ni vos plantes ! Ni vos invertébrés !). Ça vaut bien sûr pour les espèces invasives, mais pas uniquement.
Bubulle le poisson rouge est malheureux dans son bocal ? Il n’a rien à faire dans le ruisseau à côté de chez vous. Les poissons rouges ne sont pas natifs de France. Ce sont des gros mangeurs, des prédateurs d’alevins qui peuvent aussi décimer les plantes et envahir un plan d’eau en quelques années. Amenez plutôt Bubulle chez quelqu’un qui peut l’accueillir dans un bassin artificiel.
Vous devez déménager et la tortue de Floride que vous aviez offert à votre petit dernier il y a plusieurs années ne peut pas vous accompagner ? Il existe des refuges si vous n’avez pas d’autre choix. Ne l’abandonnez pas dans la nature où elle fera un carnage dans les espèces de poissons et d’amphibiens locales.
Vous avez trop de naissances de guppys pour tous les donner et ça vous fend le cœur de les tuer ? Rappelez-vous que les guppys ont été introduits un peu partout dans le monde, qu’ils sont très adaptatifs et qu’avec leur rythme de reproduction ils ont tendance à éliminer les autres espèces en créant une trop grande concurrence alimentaire. Quoi que vous décidiez, ne les relâchez pas.
Vous avez beaucoup de boutures et ce serait dommage de les jeter ? Ne les jetez pas non plus dans l’étang du coin. L’aquariophilie a déjà une grosse part de responsabilité dans la présence d’espèces comme la Cabomba carioliana qui participe à l’eutrophisation de milieux. Essayez de les échanger ou de les vendre. Donnez-les à un ami qui a des poissons herbivores. Compostez-les (avec précaution, et pas pour les invasives !).
Je possède déjà une de ces espèces, que faut-il faire ?
Seules les EEE concernées par les arrêtés sont réglementées par les articles L. 411-5 et L. 411-6. La liste est donnée dans le deuxième message de ce sujet. Des espèces sont parfois ajoutées aux annexes, en fonction de l’évolution de leur présence et de la menace qu’elles peuvent représenter.
Si vous en hébergez déjà au moment de leur ajout sur la liste, vous devez remplir certaines obligations :
Pour les plantes :
Vous êtes invités à les détruire. Il faut bien faire attention à ce que cette opération ne puisse pas propager votre plante : pas de broyage qui pourrait donner des boutures viables par exemple.
Pour les crustacés (crabes, écrevisses, etc) :
Aussi triste que ce soit, vous êtes aussi invités à les faire éliminer. Il y a trop de risques qu'ils passent dans la nature. La loi vous oblige à ce que ce soit fait en prenant soin d’éviter toute douleur, détresse ou souffrance pour vos animaux.
Pour les autres animaux (poissons, tortues, etc) :
1) Vous devez déclarer l’espèce auprès de la préfecture de votre département.
2) Vous devez la faire marquer.
3) Vous devez vous assurer qu’elle ne puisse pas se reproduire, par exemple en détruisant les œufs.
4) Vous devez veiller à ce qu’elle ne puisse pas s’échapper. Bien sûr, il est strictement interdit de la relâcher. Vous ne pouvez pas la donner, l’échanger ou la vendre. Vous ne pouvez pas non plus acquérir de nouveaux individus (à moins d'avoir un statut particulier, comme un refuge ou une autorisation pour but scientifique).
Et pour rappel : même si votre espèce n'est pas sur la liste, ne la relâchez pas dans le milieu naturel. Volontairement ou par mégarde !
(1) La formulation est en partie modifiée : pour être parfaitement exact, à chaque fois que vous voyez « espèce », il faut lire « espèce, sous-espèce ou un taxon inférieur ».
De même, le texte initial en deuxième partie de la définition d’une espèce exotique est « ou n’importe quelle partie, gamète, graine, œuf ou propagule de cette espèce capable de survivre et de se reproduire par la suite ».
Sources :
Inventaire National du Patrimoine Naturel (INPN) : https://inpn.mnhn.fr/programme/especes-exotiques-envahissantes
UMS Patrimoine naturel – MNHN [Ed] 2017-2019. Espèces Exotiques Envahissantes – Faune Introduite en France (EEE-FIF). Site Web d’information et de veille sur les espèces animales exotiques. http://eee.mnhn.fr/.
Centre de ressources Espèces Exotiques Envahissantes : http://especes-exotiques-envahissantes.fr/
Stratégie Nationale relative aux espèces exotiques envahissantes (Ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer, 2017) :https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/17039_Strategie-nationale-especes-exotiques-invahissantes.pdf
Analyse économique des espèces exotiques envahissantes en France(Commissariat Général au Développement Durable, 2015) : http://www.masterbioterre.com/sites/default/files/A.%20FLORES.%20Analyse%20%C3%A9conomique%20des%20esp%C3%A8ces%20_0.pdf
Fédération Française de l’Aquariophilie : http://www.fedeaqua.org/index.php?option=com_content&view=article&id=1364:especes-exotiques-envahissantes-liste-complete-juillet-2019&catid=163&Itemid=1108
Espèces exotiques envahissantes : les nouvelles obligations des particuliers, associations, collectivités… (ONCFS, 2018) :http://www.oncfs.gouv.fr/IMG/pdf/Plaquette-EEE-DEB-ONCFS-AFB.pdf
Code de l'Environnement